Eden

« Depuis la véranda, j’observe le Grèbe cornu, avec ses yeux rouge vif et ses touffes jaune-orange, qui plonge rapidement dans l’eau. J’attends qu’il réapparaisse, souvent là où je m’y attends le moins.
La mer entoure l’île, l’une des plus de 6 700 que compte l’archipel d’Åland. Le socle rocheux de l’île présente des stries, des nervures et des crevasses, façonnées par le temps.
L’endroit était autrefois accidenté, plein de pins, de genévriers et d’herbes hautes et sauvages. Grand-père a défriché et planté des feuillus provenant des îlots voisins. Il a aménagé un jardin avec des herbes, des arbustes à baies et des arbres fruitiers. Sur le rivage, il a coulé un sceau en béton.
Il a appelé l’endroit Eden, d’après le paradis biblique, et notre nom de famille.
Au début, il était difficile de venir ici, il fallait traverser le détroit à gué. Il y a des photos de l’époque où j’étais petit, assis sur les épaules de mon père pendant qu’il faisait la traversée. Plus tard, le bras de mer a été comblé et est devenu un talus. Lorsque je l’emprunte aujourd’hui, ma fille aînée dans les bras, je pense à la route bordée de fleurs que je ne saurais nommer.
La pierre que mon grand-père avait choisie comme pierre tombale était adossée à un aulne sur le rivage. À sa mort, il y a deux ans, la pierre a été déplacée pour accomplir enfin la tâche qu’il lui avait confiée. Elle était lourde et peu maniable, et il n’a pas été facile de la déplacer de la rive. Papa s’est filmé lorsqu’il l’a déplacée à travers la prairie et en haut de la colline. Il déclare dans le film : “Plus que trente mètres, plus que dix mètres…” La pierre laisse des traces dans l’herbe. »
Karl Henrik Edlund