Triptyque
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Date de parution : 01/01/2022
Poids 110 g / Dimensions 19.5 x 25.5 cm / 24 pages
ISBN 9783907179444
« Nous pourrions regarder les bas-reliefs en céramique de Ronan Bouroullec et y voir les traces d’un langage que nous reconnaissons : les silhouettes d’objets familiers, les contours de paysages connus. Nous pourrions être tentés de considérer l’œuvre comme un alphabet de simples choses, de penser les pièces « objectivement ». Mais en tant que tableaux, les reliefs ne sont pas tout à fait cadrés : l’un a un bord qui dépasse, un autre un cercle qui est décentré et sur le point de rouler, et un autre encore, une masse rosâtre qui pourrait basculer.
Les langues sont toujours nées de l’argile (on pense aux sceaux cunéiformes) ; il est facile de croire que Bouroullec est en train de développer la sienne. À minima, ces pièces, qui se situent à l’intersection de la peinture, de la sculpture et du design, exigent de nouveaux verbes, des mots comme « biseauter » et « désintégrer ». (Et il est possible, disent les œuvres, qu’il n’y ait rien de plus beau qu’un bord biseauté : la façon dont ils s’affinent est comme une caresse. La façon dont ils se dissolvent sur un fond est à la fois numérique et profondément analogique. Ces effets sont à la fois visuels et tactiles, c’est-à-dire que nous les voyons et que nous voulons les toucher.)
Les compositions parlent parce qu’elles sont vivantes, des masses de céramique respirant dans une atmosphère métallique, sur une planète étrange mais accueillante. Comme d’autres langues, celle de Bouroullec semble avoir une grammaire. Les formes se répètent et la palette est cohérente, comme un dialecte. S’il y a de légères variations, les œuvres confirment la règle. Certaines compositions sont répétées et retournées. Le processus de Bouroullec est aussi intrinsèquement syntaxique : si les œuvres finies ont l’apparence d’une composition précise, elles sont agencées a posteriori à partir d’éléments formés séparément. Bouroullec n’assemble les reliefs qu’après la cuisson des éléments individuels ; certains se brisent inévitablement dans le four. Comme les phrases, les compositions de Bouroullec sont des séquences de parties fixes. Comme la poésie, elles sont soumises au hasard.
Sur une photo prise dans l’atelier de Bouroullec, celui-ci se penche sur une table de fortune sur laquelle il a étalé une épaisse plaque d’argile. Il fait sombre ; il tient un couteau de cuisine qui, plus tard, sera couvert de résidus du matériau qu’il utilise pour sculpter. À sa gauche, il y a une pile de fines chutes qui ont été coupées de l’ensemble plus grand ; la céramique conserve une sensation de papier dans les œuvres finies. Cela a quelque chose à voir avec la figure et le sol, les formes en céramique émaillée (marquées par des fissures, des bulles et des traces d’outils) étant soutenues par le contraste avec la planéité et la netteté de la surface synthétique sur laquelle elles ont été disposées. Le sens du découpage — composition minutieuse avec des papiers découpés — va plus loin que la similitude formelle avec les dessins et le design antérieurs de Bouroullec.
Bouroullec a d’autres précurseurs. Les artistes qui aspirent à de nouveaux alphabets dans l’abstraction, ou ceux qui sont préoccupés par les formes simples et les opérations aléatoires. Au fond, cependant, cette œuvre semble réaliser un projet plus ancien — le Suprématisme de Kazimir Malevitch. Dans son manifeste sur le Suprématisme, Malevitch parle d’un « désert » où rien n’est réel sauf le sentiment. Malevitch pensait avoir découvert la grammaire de ce monde non objectif. Bouroullec l’a redécouverte — et renouvelée pour notre époque. C’est pourquoi les œuvres semblent avoir une résonance primitive. Elles court-circuitent notre compréhension symbolique, chuchotent d’autres paysages. Elles nous rappellent que la masse et l’atmosphère sont des formes de plaisir et nous invitent à nous en réjouir. »
Josh Ascherman