Lancement du livre éponyme à l’exposition à l’occasion de son dernier jour, en présence de l’artiste, samedi 25 mai à 18h.
Pour l’exposition Nouvelles Photographies du soir, Julien Carreyn propose une lecture verticale et horizontale de ses images, en présentant un ensemble de photographies encadrées – dont une partie a été réalisée dans l’espace de la librairie – et sa pratique du livre et du fanzine.
UN CINÉMA INTIME ET TRANSPORTABLE
“Les rêves se déroulent dans notre tête et pourtant ils semblent si lointains. Parfois, nous y apparaissons, ce qui leur confère un sentiment de véracité, mais étrangement, nous les voyons aussi se dérouler “sous nos yeux”. Ils se manifestent sous la forme d’une succession d’images en mouvement ou d’aperçus fugaces. En feuilletant les livres de Julien Carreyn, je retrouve la même qualité, celle d’un dispositif onirique, empreint d’une certaine mélancolie : un cinéma intime et transportable.
Suivant presque toujours le même modèle de fabrication, les livres de Julien Carreyn présentent une photo par page, centrée et imprimée sur un ou deux côtés de la page. La plupart du temps, ils adoptent le format d’un carnet de notes ou s’inscrivent dans la lignée du fanzine. Chacun d’entre eux comprend un cycle d’images prises dans un lieu donné à un moment spécifique. Les titres choisis par l’artiste précisent d’ailleurs le nom du lieu dans lequel les clichés ont été pris et parfois même la temporalité : Les citrons du Tarn, The Nishimura Week-End ou encore Le moulin des Ribes. Le rendu atmosphérique des photos et des polaroids, qu’ils soient imprimés en couleur ou en noir et blanc, demeure homogène tout au long du livre. Qu’il s’agisse de jardins, d’arbres, de coins de rue, d’intérieurs, d’objets habitant l’espace, de petites peintures ou encore de corps nus posant puis sortant du cadre de la photo, les scènes capturées dans ces différents lieux sont légèrement floues, baignées d’une lumière faible qui tend par moment jusqu’à l’obscurité. Certes, la photo en tant que telle est un outil de mémoire, mais les caractéristiques du polaroid lui-même, peu enclin aux contrastes et de petite taille, intensifient sur le papier imprimé le sentiment d’un moment intime et révolu, c’est-à-dire d’un moment appartenant à l’ordre du souvenir personnel.
Mais contrairement à la photo qui, de par sa nature bidimensionnelle, contient la potentialité d’être exposée, le livre nécessite une relation physique de la part de ceux qui choisissent de s’y intéresser pour être activé. Dès lors qu’il se retrouve dans les mains du lecteur, il est lié au corps et devient immédiatement un objet intime. Le touché du papier – oscillant entre lisse et rugueux – offre une substance supplémentaire à la matérialisation du souvenir. Et alors que les pages défilent sous nos yeux, les livres de Julien Carreyn s’animent telle une caméra qui ferait des arrêts sur image, tout en racontant l’histoire d’un lieu, de ses vies sous-jacentes, de ses fantômes et, lors de l’apparition de nu.e.s, de son espace refoulé. Les livres de Julien Carreyn deviennent ainsi « matière souvenir » semblant tout droit sorti des profondeurs de l’inconscient.
D’ailleurs qu’est-ce qui nous lie le plus concrètement à la « matière souvenir » si ce n’est le souvenir rendu matière par la photo et, à fortiori, par l’impression de ces photos dans un livre ? Cette opération, associée à la qualité des photos caractéristique de Julien Carreyn, permet de rendre visible la stratification de la mémoire des lieux. D’un côté, le livre épaissit le souvenir, lui donne matière, tandis que de l’autre, l’image voilée de la mémoire semble s’éloigner, s’estomper à mesure que les pages sont tournées. Il semble que pour l’artiste, le livre s’offre comme un moyen de contenir, voire de recueillir le souvenir, dans la tête, mais aussi dans les mains tel un cinéma transportable, une “boîte en valise” de la mémoire. Un peu comme la vue d’un paysage de campagne ordinaire, aussi banal que mystérieux, qui défile devant vous alors que vous êtes assis à bord d’un train en marche et dans lequel, l’histoire d’un instant, vous percevez le passage des nombreuses vies qui s’y sont entrecroisées.”
Oriane Durand
À cette occasion, l’artiste présentera son nouveau livre Voyage à Kastelorizo publié par Nero.