The End of Books

« Il n’y a pas de mort du livre !

Le livre, instrument spirituel : Tel est le titre d’un chapitre de Quant au livre. Cet hommage poétique au livre est du poète français Stéphane Mallarmé. La formulation inhabituelle reflète le charisme et la signification particulière de cet objet. Car un livre n’est pas une simple matière morte ! Dans la philosophie occidentale, par exemple, le livre est aussi un symbole du monde. Mais qu’il puisse être plus qu’une image passive du monde est démontré par des pensées que l’on retrouve dans différents courants. Selon la tradition juive, par exemple, nous sommes inscrits à nouveau dans le livre de vie à chaque nouvel an. Cependant, nous avons nous-mêmes en main ce qui y est inscrit ; nous devenons ainsi quasi co-auteurs de notre livre de vie. Cela signifie  que le livre ne représente pas seulement le monde, mais qu’il le crée seulement ! Cet aspect créatif englobe le livre au-delà de son contenu. En effet, les livres sont des objets fascinants à part entière ; ils ne sont pas seulement des récipients de lettres chargées de sens. Nous le remarquons également lorsqu’il s’agit de leur trouver une place dans notre environnement domestique. La façon dont nous rangeons les livres et l’endroit où nous les rangeons peuvent être tout aussi importants.

En règle générale, les livres sont rangés sur des étagères. Leur rangement suit donc un certain schéma d’organisation. Mais comment s’y prendre ? Faut-il les ranger en fonction de leur contenu, faut-il les classer en fonction de leur apparence ou faut-il laisser leur « ordre » au hasard ? Chaque livre a un certain poids et une certaine taille, il a une couleur et une matérialité particulières. Cette diversité exige un certain ordre. La façon dont nous ordonnons les choses reflète également notre façon de penser ; ce faisant, nous sommes toutefois souvent guidés par des normes sociales ou des concepts figés. Or, c’est précisément dans nos rapports avec le monde simple des choses que jaillit une étincelle de notre créativité primordiale. Il en va de même pour la présentation des livres.

Nous transformons par exemple des objets en serre-livres, voire utilisons des objets à l’allure sculpturale en tant qu’appui-livres. Comme les ouvrages qu’ils soutiennent, ces objets ont un caractère propre. Plus que cela, en fait : il est intéressant de noter qu’ils entrent également en dialogue avec les livres qu’ils soutiennent. Tout comme les livres reflètent l’infinie diversité du monde, cela se reflète également dans les différents aspects des serre-livres. Le livre et l’appui-livre réagissent l’un à l’autre de manière mimétique. Cette collection de serre-livres reflète non seulement la polyvalence par laquelle ces objets prennent vie dans nos maisons, mais aussi la diversité de leurs propriétaires. Les “fins” peuvent également être lues comme les prémices d’un nouvel ordre social. “Il n’y a pas de mort du livre, mais une nouvelle manière de lire”, affirment les deux philosophes Gilles Delleuze et Félix Guattari dans leur merveilleux texte “Rhizome “1. Car chaque livre nous invite à nous approprier de manière individuelle ce que nous avons lu. Ce faisant, nous multiplions notre regard sur notre existence, nous libérons la pensée des conventions. Cela ne signifie pas nécessairement que nous devons comprendre un texte, le livre est plutôt un outil de notre perception du monde. Il est aussi, comme le note Mallarmé, un instrument spirituel. Les serre-livres reflètent exactement ce caractère spécial d’outil. »

Susanna Koeberle